Endoscopy 2017; 49(04): 415-423
DOI: 10.1055/s-0037-1599269
CO Endoscopie
Georg Thieme Verlag KG Stuttgart · New York

Particularités cliniques et endoscopiques des hémorragies digestives sous anticoagulants oraux directs: à propos d'une série multicentrique française

D Deutsch
1   France
,
P Romegoux
2   Grenoble
,
C Boustiere
3   Aubagne
,
JM Sabate
4   Colombes
,
R Benamouzig
5   Bobigny
,
P Albaladejo
2   Grenoble
› Author Affiliations
Further Information

Publication History

Publication Date:
13 March 2017 (online)

 

Introduction:

Les anticoagulants oraux directs (AODs), anti-IIa pour le Dabigatran et anti-Xa pour le Rivaroxaban et l'Apixaban, représentaient 30% des prescriptions d'anticoagulants oraux en 2014. Leur prescription dans la prise en charge de la fibrillation atriale non valvulaire et dans la maladie thromboembolique veineuse semble associée à un moindre risque hémorragique global (notamment cérébral) mais au prix d'une possible augmentation du risque d'hémorragie digestive (RR 1,25). A notre connaissance, il n'existe pas à ce jour de série décrivant les hémorragies digestives sous AODs. Le but de ce travail était de décrire les particularités cliniques et endoscopiques des patients présentant une hémorragie digestive sous AODs.

Patients et Méthodes:

Les cas ont été identifiés à partir des données extraites de l'observatoire national des hémorragies, coordonné par le GIHP-NACO, et ayant inclus de Juin 2013 à Mars 2016 732 patients traités par les nouveaux anticoagulants oraux. Au sein de cet observatoire, 175 patients présentant une hémorragie digestive, issus de 25 centres hospitaliers, ont été identifiés dont 6 patients à tort car présentant une déglobulisation sans extériorisation. Les données relatives à l'endoscopie digestive ont pu être récupérées sous la forme de compte-rendus anonymisés pour 59 patients.

Résultats:

Les 175 patients identifiés étaient âgés (âge médian 81 ans), plus souvent de sexe masculin (61%) avec de nombreuses comorbidités, en particulier vasculaires: 64% d'hypertendus, 28% de maladies vasculaires périphériques et 24% d'accidents vasculaires cérébraux. Quarante et un pourcents étaient traités par Dabigatran (n = 72), 54% par Rivaroxaban (n = 95) et 5% par Apixaban (n = 8). L'indication principale était la prévention du risque thromboembolique sur fibrillation atriale (86%). La prise d'AOD était associée à celle d'un antiagrégant plaquettaire dans 32% des cas. A l'admission, l'hémoglobine était en moyenne à 8,9 g/dL et les patients présentaient une insuffisance rénale (clairance < 80 mL/min) dans 94% des cas avec une clairance moyenne selon Cockcroft de 36 mL/min. L'hémorragie était considérée comme menaçant le pronostic vital chez 45% des patients. On note 5% (n = 3) de décès au cours de l'hospitalisation initiale. Il n'existait pas de différence significative sur les caractéristiques des patients entre la population initiale et les 59 patients pour lesquels les données de l'endoscopie étaient disponibles. Parmi ces 59 patients, 51% ont présenté un méléna (n = 30), 47% des rectorragies (n = 28) associées à du méléna dans 5 cas, et 10% d'hématémèse (n = 8) dont 2 associées à du méléna. Le nombre moyen de culots globulaires transfusés était de 3,15. La première endoscopie était réalisée sous 24h suivant l'admission dans 39% des cas et après 48h dans 10% des cas. Une gastroscopie était réalisée dans 76% des cas et une endoscopie basse: coloscopie ou rectosigmoïdoscopie dans 56% des cas. La gastroscopie seule permettait d'aboutir à un diagnostic étiologique dans 39% des cas. Dans 34% des cas, il n'était pas possible de déterminer l'origine du saignement, y compris après réalisation d'une vidéocapsule du grêle. Les causes de saignement les plus fréquentes étaient un ulcère gastroduodénal (24%), un diverticule (10%), des angiodysplasies (8%), une cause proctologique (5%) ou une lésion tumorale colorectale (5%). Il n'existait pas de corrélation entre le nombre de culots globulaires transfusés, la mise en jeu du pronostic vital et le type de lésion responsable de l'hémorragie, le type d'anticoagulant ou l'âge du malade.

Conclusion:

Dans cette cohorte de sujets âgés avec comorbidités multiples, la principale cause d'hémorragie digestive sous AOD semble être l'ulcère gastroduodénal. Une grande partie des endoscopies a été réalisée à distance du début de l'hémorragie, probablement à un moment où l'effet anticoagulant de la molécule a quasiment disparu. Dans la majorité des cas, on note l'absence de réalisation d'une hémostase endoscopique ou de 2ème endoscopie, en rapport avec l'absence de saignement actif visualisé et de récidive hémorragique. Il ne semble pas exister de corrélation entre la gravité de l'hémorragie et le type de lésion, d'anticoagulant ou l'âge du patient.